Il y a deux ans, au tout début du lock-out, j’avais lancé une campagne de boycottage de la LNH. J’y invitais les gens à boycotter autant que possible et aussi longtemps que possible l’achat de billets et de produits de la LNH. Je jugeais que la LNH prenait ses fans pour acquis et ne méritait pas notre argent.
On avait parlé de mon initiative dans The Gazette, puis au 98,5. Ça c’était même rendu au national à CBC Radio.
J’avais aussi profité du lock-out pour encourager les gens à s’intéresser davantage à l’autre club de hockey « professionnel » de Montréal, les Stars. D’ailleurs, pour ceux et celles que ça intéresse, les Stars – qui accueilleront entre autres cette année dans leur rang l’olympienne Lauriane Rougeau – commencent leur saison à domicile demain à 18h, contre leurs grandes rivales de Boston. Ça se passe à l’Aréna Étienne-Desmarteau dans Rosemont. On leur en souhaite une bonne.
Mais, bon, pour revenir à nos moutons, comme prévu, le hockey de la LNH a repris et les fans sont retournés faire salle comble au Centre Bell et dans les autres arénas « vaches à lait » de la LNH.
Les ventes ne se sont pas réalisées aussi facilement qu’à l’habitude au Centre Bell lors de la reprise, mais on est tout de même parvenu à faire « officiellement » salle comble. Et puis, avec les bons résultats du club, les choses sont revenues complètement à la normale.
Les impacts ont peut-être été plus sentis ailleurs, mais j’ai, disons, pas mal fait mon deuil du boycott!
Cela dit, déformation professionnelle oblige, je demeure toujours aussi critique devant la naïveté, le manque d’esprit critique et l’aveuglement des humains par rapport à certaines réalités.
Le monde à l’envers!
Ainsi, deux ans après le lock-out, vous voulez un bon exemple de jusqu’où peut aller l’aveuglement causé par la passion des partisans? Lisez cet article complètement halluciné paru récemment sur Habseyesontheprize (EOTP), un site qui, malgré d’excellentes analyses, donne malheureusement trop souvent dans l’esprit de troupeau et la pensée unique dans sa section « commentaires ».
(Pensée unique, dites-vous? Osez dire le contraire de ce qu’ils pensent, vous allez voir! On m’a même cavalièrement banni du site, oui-oui, pour avoir osé dire que cet article m’avait donné le goût de vomir. Pas la personne qui l’écrit, nenon, l’article et les idées qu’il contenait.)
Mais, peu importe, revenons à l’essentiel!
Selon l’auteure de l’article, Laura Saba, il faudrait se compter « chanceux », c’est-à-dire, se montrer plus reconnaissant envers la chance qu’on a de pouvoir assister à un match au Centre Bell dans une ville qui vit au rythme du hockey comme Montréal. Elle laisse entendre qu’elle se sent cheap, voire honteuse, de parfois quitter le Centre Bell sans grands sentiments!
Shame on me, I’m not worthy, I’m so ungrateful! Doit-on comprendre en substance.
Puis elle y va d’une platitude incroyable : « Seul le Centre Bell est à Montréal (AH OUI!) et tant que tu n’en as pas fait l’expérience par toi-même tu ne peux pas vraiment savoir ce que c’est et ce que ça veut dire. Comment ai-je pu prendre ça pour acquis? »
Elle se commémore ensuite l’époque fin 90, début 2000, où elle était une pauvre étudiante alors que le Centre Molson/Bell ne faisait pas salle comble et où il y avait même des pseudo-rumeurs de relocalisation de l’équipe. « Nous sommes vraiment chanceux d’avoir ce que l’on a maintenant et on ne devrait jamais prendre ça pour acquis », rajoute-t-elle pour la nième fois.
Incroyable! Sommes-nous ici dans une réalité parallèle?
S’adresse-t-elle à Dieu le Père?
On croirait entendre une prière cheap d’avant repas d’action de grâce dans un film canadien de série B!
Je veux bien croire que le Canadien est une quasi-religion (je le sais, pour le fun, j’ai même suivi le cours« La religion du Canadien de Montréal » donné par Olivier Bauer en théologie à l’UdeM), mais, boy-boy, faudrait pas en faire une caricature!
J’ai donc relu cet article 3-4 fois pour être sûr que je ne rêvais pas. C’est un article, que dis-je, un évangile, tellement « bonbon », dégoulinant de « bons sentiments » et de naïveté qu’il en devient très confus sur le plan des idées.
En fait, on y mélange tellement de choses que c’est le monde à l’envers.
D’abord, on est « chanceux »? Comment ça, « chanceux »? Ensuite, on prendrait cette chance pour « acquise »? De kessé?
Se peut-il que parfois on quitte le Centre Bell sans avoir de grandes émotions tout simplement parce que le spectacle a été très ordinaire ce soir-là et qu’on n’ait pas envie de se sentir reconnaissant envers le CH, la LNH ou la belle ville de Montréal?
Le problème avec cet article c’est qu’il trempe davantage dans le mythe que la réalité. Et avec le Canadien l’appel au mythe n’est jamais très loin…
Le mythe de la soirée magique
Le texte de Laura Saba nous plonge donc dans le mythe de la soirée magique passée au Centre Bell. Vous savez, celles où l’on retire des chandails, où Ginette Reno fait vibrer le Temple à l’unisson, où le Canadien gagne 8-5 dans l’euphorie collective, où Maurice Richard compte 8 buts après avoir déménagé un piano dans l’après-midi.
Or, pour une soirée « magique » du genre, un peu comme celle qu’ont eu les heureux partisans hier lors du match d’ouverture contre Boston (je suis réellement content pour eux!) il y en a combien des soirées « ordinaires » où l’on quitte, sans grande émotion, voire un peu agacé, le pas pressé, en se disant que ça ne valait pas 105$ 150$ 200$?
Se pourrait-il que pour avoir la « chance » d’y vivre une soirée magique il faille pour bien du monde tenter sa chance à quelques reprises et dépenser 500$, 600$, 800$ avant de vivre une soirée « priceless »? C’est du moins l’expérience partagées par plusieurs d’entre nous.
Et surtout, en quoi devrions-nous nous considérer « chanceux » de pouvoir assister à un match « plate », ordinaire, voire frustrant? Pourquoi, tant qu’à être dans l’absurde, ne pourrions-nous pas prendre pour acquis qu’en dépensant 105$ ou 150$, on serait en droit de sortir de là avec quelque chose qui ressemble à une émotion positive, sinon argent remis?
La raison est simple. On ne peut rien prendre pour acquis parce que c’est du sport et que parfois, pour toutes sortes de raisons, le spectacle n’est pas au rendez-vous ou tout simplement parce que notre équipe a mal joué et on s’en voit déçu.
Le spectacle est généralement meilleur qu’il y a deux ans au Centre Bell. Je l’avoue facilement et je m’en réjouis. Mais il ne faut pas perdre de vue que d’aller y dépenser ses billets verts c’est parfois un peu comme aller jouer au casino : il y a des bonnes chances que tu n’en ais pas pour ton argent, malgré le show de boucane dans lequel on enrobe tous les matchs.
Or, sortirait-on nécessairement d’une soirée perdante au casino tout plein de bons sentiments de reconnaissance en se disant, par exemple, qu’on a quand même vécu une expérience magique et qu’on est chanceux d’avoir une belle bâtisse en forme de diamant, pleine de lumières, sur le bord du fleuve St-Laurent en face du centre-ville de Montréal?
Se payer un billet pour allez voir un événement sportif impliquant une équipe prestigieuse dans un stade renommé n’est pas une « chance » à proprement parler. C’est un « privilège » assez courant dans les grandes métropoles du monde. C’est un privilège que certains peuvent et décident de se permettre. C’est donc un choix, une possibilité de dépense luxueuse parmi d’autres.
Tomber sur un bon soir au Centre Bell, y vivre une soirée mémorable, voire magique, ça c’est une « chance », c’est cette chance-là qui nous fait ressentir quelque chose de spécial. C’est un ensemble de circonstances heureuses un soir donné qui fait la magie, comme un gin tonic bien balancé qui étanche la soif en nous donnant l’envie d’en boire une autre gorgée.
On peut prendre ça pour acquis si on veut, vivre à Montréal et aller voir les Canadiens. À la rigueur, quand on vit dans la région de Montréal, qu’on y est allé plusieurs fois et qu’on s’est fait une tête sur l’expérience générale, comme après avoir sauté en parachute 40 fois, ça peut sembler assez banal certains soirs.
On n’a pas à se sentir mal pour ça!
On n’a surtout pas à trouver anormal de ne pas avoir de grandes émotions à chaque fois qu’on y va. Surtout quand Canadien perd 2 à 1 contre le Buffalo! Pas de magie là!
Or, n’en déplaise aux Laura Saba de ce monde à l’envers, c’est encore et toujours la LNH qui, de manière générale, prend encore et toujours ses fans pour acquis 1) en haussant constamment le prix des billets dans ses plus gros marchés et 2) en refusant de déménager des concessions merdiques où le prix des billets est ridiculement bas (ce qui fait justement monter le prix des billets dans les marchés « en santé »).
Dans le monde réel – pas dans celui des Calinours plein de bons sentiments- ce sont eux, la LNH et ses franchises, qui sont « chanceux » d’avoir d’aussi « bons » fans. Même s’ils travaillent fort (pas mal comme tout le monde qui a une job), ce sont eux qui doivent être reconnaissants au plus haut point des milliards de dollars que leur donnent leurs fans.
Nous, les fans, on se comptera chanceux si on tombe sur une bonne game.
Conclusion
Le boycott ayant bien un petit côté utopique, on en conviendra, comme le disait un de mes grands amis cette semaine – appelons-le Jamòn Con Queso – « quand tu vas voir un match au Centre Bell, tu payes ton $#%& de billet, tu mets ton cerveau dans le formol avant de partir, pis si tu veux, bois de la bière, mange des hot-dogs, si tu veux, achète des « tiguedis » à l’effigie du Canadien pour tes enfants pis tes neveux sans regarder à la dépense. »
Autrement dit, quand tu vas au Centre Bell, c’est un luxe que tu te payes. Décroche, pense pas et aussi ne t’attends pas à rien! Si t’as une bonne game, tant mieux et sois heureux!
Mais, de grâce, Mlle Saba, lâchez-nous la mythologie du match magique et sacrez-nous une petite patience avec votre évangélisme de « bons sentiments » dégoulinants de « reconnaissance » qu’on devrait avoir en allant voir une partie de hockey au Centre Bell!
Au moins…
Cela dit, je suis toutefois très heureux de constater et de reconnaître qu’au moins Molson, Bergevin, Therrien et toute l’organisation du CH ne sont certainement pas ceux qui ont le plus pris leurs partisans pour acquis depuis le dernier lock-out. Bien au contraire.
Leur reconnaissance envers les partisans m’apparaît sincère même si, en suivant la logique du marché, ils augmentent eux aussi le prix des billets. C’est normal, le building est plein et le billet se fait rare.
Mais, ils ne s’assoient pas sur leurs lauriers. Ils font pas mal de choses pour la communauté et ce partout en province. Ils peuvent aider grâce à leur notoriété et ils le font dans une mesure plus qu’appréciable. M. Molson est d’ailleurs un homme possédant de très belles valeurs.
Mais, pour moi, comme pour plusieurs sans doute, cette reconnaissance passe avant toute chose par une amélioration constante de l’équipe, du produit sur la glace. On ne ménage vraiment plus les efforts de ce côté et, malgré la toute-puissance du capital, on sent que la victoire est plus importante que l’argent au sein de cette organisation.
Bon, peut-être aussi qu’on a compris que l’argent était là anyway et qu’elle allait venir en plus grande quantité avec la victoire…
Mais peu importe!
Pour cela, pour leur volonté de progresser et leur approche humaine des affaires, je leur dis bravo!