10 ans après son implantation, le nouveau format de séries de la LNH semble brisé

C’est le retour de la fameuse «guigne» du Trophée des Présidents. 

Depuis 2013, aucune équipe ayant terminé la saison au premier rang de la LNH n’a gagné la Coupe Stanley au cours de la même saison, ce qui s’est concrétisé avec l’élimination des Rangers, samedi dernier.

J’ai lu, cette semaine, qu’il s’agit d’une «preuve» que la saison régulière ne veut rien dire, rendu en séries. 

Je pense – et j’espère – que c’est généralement acquis que l’équipe qui gagne le Trophée des Présidents n’est pas «supposée» gagner la Coupe Stanley et qu’on ne parle pas d’une malchance, mais bien d’une réalité statistique.

Tsé, au final, la première place s’est jouée à 3 points ou moins 6 fois dans les 10 dernières années, et 5 des 10 derniers gagnants de la Coupe Stanley étaient dans le top-5 du classement général. Avoir du succès en saison, ça aide, et l’histoire aurait pu être bien différente si quelques matchs #82 d’une saison s’étaient soldés différemment.

L’équipe de première place devrait toutefois, logiquement, avoir plus de chances qu’une équipe ayant terminé au 16e rang. Non?

Le système divisionnel semble brisé

La LNH a célébré (le mot est fort) le dixième anniversaire de son nouveau format de séries éliminatoires, en 2023. 

Le bilan après 10 ans donne très peu d’importance à la position d’une équipe au moment d’accéder aux séries. 

Tenez-vous bien : la guigne est bien réelle et les chiffres ne mentent pas.

Depuis 2014, les 10 équipes qui ont terminé au 1er rang ont moins de victoires (56) que les 10 équipes qui ont terminé au 16e rang (60). 

Relisez cette phrase, je vous en prie, pour en saisir l’ampleur.

En fait, les équipes qui ont terminé au 1er rang sont dixièmes (!) sur seize en termes de victoires.

L’ordre va comme suit : 2, 12, 3, 8, 6, 5, 7, 16, 10, 1, 4, 11, 9, 14, 13, 15. 

N’essayez pas de comprendre. Le graphique exprime que la tendance, c’est qu’il n’y a pas de tendance.  

En moyenne, une équipe qui termine la saison parmi les 4 meilleures équipes de la ligue gagne 6,675 matchs lors d’un parcours éliminatoire, tandis qu’une équipe entre la neuvième et la douzième place gagne 5,755 matchs. La valeur additionnelle d’une première place n’est pas énorme.

En bref, on pourrait dire que l’importance des séries est présentement beaucoup plus élevée que celle de la saison régulière. 

Était-ce mieux avant?

Qu’en était-il avant le changement au format des séries? Voici un graphique un peu plus sensé. 

Outre les petites anomalies qui sont somme toute normales dans l’exercice d’une science inexacte, la pente est relativement proportionnelle et surtout, en pente descendante. On remarque qu’une position plus élevée se traduit normalement en davantage de succès qu’une position moins élevée.

Une équipe qui terminait dans le top-4 terminait les séries avec une moyenne de 7,525 victoires, contre 5,755 pour les équipes 5 à 8 et 4,6 pour les équipes de 9 à 12.

En bref, on pourrait dire que l’importance de la saison régulière était plus élevée avant 2014.

Et comme les séries ne peuvent pas être »peu importantes» dans un contexte d’éliminations en séries 4 de 7, la conclusion est qu’elles étaient « plus prévisibles », mais sans nécessairement l’être, si vous voyez ce que je veux dire. 

Mais pourquoi?

Pour encore mieux définir la problématique, il est absolument nécessaire d’oublier le 1 à 16 et de creuser à même les positions 1 à 3 de chaque division.

En excluant les séries anormales pandémiques, on constate que sous le nouveau format, l’équipe de deuxième position a un peu plus de succès que celle de première position, qui cumule à peine plus de victoires que le club de troisième place.

Qu’est-ce qui explique de tels chiffres?

Depuis 2013, 23 champions de division sur 40 ont accédé au deuxième tour, soit un taux de succès de seulement 57,5% en première ronde.

12 de ces 23 champions de division ont remporté la deuxième ronde face à l’équipe #2 ou #3, soit un taux de succès d’un peu plus de 52%.

Il est difficile de comparer à l’ancien format, considérant qu’il y avait trois divisions par conférence. Faisons alors l’exercice avec les équipes #1 et #2, qu’on envoyait également en première ronde contre les équipes #7 et #8.

Les deux meilleures équipes de chaque conférence ont été 31 sur 40 (77,5%) à accéder au deuxième tour, et 19 d’entre elles (61,2%) ont accédé à la finale de conférence. La hausse est donc de 20% en première ronde et de 9,2% au deuxième tour.

Considérant que les trois premières places étaient décernés aux champions de division, et non aux trois meilleures équipes, deux scénarios ont été évalués pour la période 2003-2013 : les deux premiers champions de division (#1 et #2 en séries) et les deux équipes ayant amassé le plus de points dans leur conférence (#1 et #2 en saison).

Ce tableau nous donne quelques indices.

D’abord, rien n’a changé au niveau des affrontements de première ronde. La chute du succès des meilleures équipes de la ligue en première ronde suggère donc deux possibilités, soit celle qu’entrer en séries sur le « cruise control » n’est tout simplement pas idéal et/ou que les équipes terminant au bas du classement sont plus compétitives qu’elles l’étaient.

Puis, il faut noter qu’avant le changement de format, le tableau suivait le principe du reseeding automatique, c’est-à-dire que dans le cas d’un « upset » en première ronde, l’équipe la mieux classée obtenait « l’avantage » d’affronter l’équipe surprise.

Depuis le changement, l’écart moyen entre un champion de conférence et son adversaire de deuxième ronde a baissé, mais pas énormément. Cependant, la moyenne de points de l’adversaire a grimpé en flèche.

Notez également que la saison historique des Bruins (135 points) gonfle les chiffres.

Cinq fois, lors des 10 dernières années, un champion de conférence a affronté au deuxième tour une équipe avec laquelle il y avait 3 points d’écart ou moins. Dans les 10 années précédentes, ce n’était arrivé qu’une seule fois.

Non-sens

Les duels entre les équipes #1 contre #2 d’une même division, en deuxième ronde, sont autant plus insensés si l’on considère que c’est arrivé six fois lors des dix dernières saisons que les deux meilleures équipes de l’Est étaient dans la même division… et que c’est le cas à chaque saison depuis 2016 dans l’Ouest!

Sous le nouveau format, les affrontements entre les équipes #1 et #2 d’une même conférence sont non seulement possibles, mais très souvent normalisés et attendusC’est arrivé deux fois… cette année!

Et là, on ne parle pas du #1 contre #3, qui était également impossible pré-lockout. 

Un tel duel aussi tôt en séries était impensable, avant, bien que les affrontements entre #2 et #3 étaient bel et bien possibles dès le deuxième tour.

Les problèmes d’avant

Bien sûr, dans une telle situation, la problématique était différente, et presque autant grave. Les affrontements #2 et #3 étaient souvent moins pires car il était fréquent qu’un des trois champions de division soit moins fort… Mais également illogique puisqu’un #1 pouvait affronter un #4, #5 ou même #6 qui avait terminé la saison avec plus de points que l’équipe #3.

En 2012, par exemple, les Panthers ont terminé au 6e rang de l’Est, mais sont entrés en séries avec l’étiquette #3.

Les Penguins et les Flyers (#2 et #3) s’étaient donc affrontés au premier tour.

C’était un problème, mais la Ligue en a créé un autre avec le format actuel. La solution se trouve peut-être quelque part dans le milieu, dans un monde où le format ne tient pas rigueur des divisions et où les équipes s’affrontent tout simplement selon leur classement : 1 c. 8, 2 c. 7, 3 c. 6, 4 c. 5.

On sait toutefois que la LNH souhaite alimenter ses rivalités.

L’avocat du diable dirait que celles-ci peuvent quand même se créer dans un format de conférence, et il donnerait comme exemple les nombreux duels Penguins-Flyers et Penguins-Capitals des années 2010, et les séries Canadiens-Sénateurs, Canadiens-Bruins et Canadiens-Sénateurs. Je ne le connais pas, l’avocat du diable, mais j’imagine qu’il établirait aussi qu’il n’est pas malsain de créer des rivalités entre les meilleures équipes d’une conférence, tout simplement. Il pourrait même dire que le concept des wild-cards qu’on aime tant peut empêcher certains affrontements intra-divisions intéressants.

Tout dépend de ce qu’on veut

Tsé, quand Marc Bergevin nous cassait les oreilles en disant qu’« une fois en séries, tout peut arriver » ?

C’est un peu vrai, quand même, depuis 2013, et les exemples sont très nombreux.

Une chose semble claire : les deux modèles ont eu du succès dans ce qu’ils aspiraient à faire… jusqu’à un certain point.

Il faut maintenant se demander ce qu’on veut, et surtout, qu’est-ce que la LNH souhaite accomplir. Souhaite-t-on que les séries soient plus imprévisibles au détriment des 82 matchs qui ont été disputés avant? Souhaite-t-on offrir une chance « logique » qui respecte l’ordre de succès en saison régulière, quitte à être plus prévisible?

Il y aura toujours des surprises, peu importe le format. On se rappellera que le Canadien (8) avait sorti les Capitals (1) et les Penguins (4) en route pour se faire surprendre par les Flyers (7), qui avaient eux-mêmes sorti les Devils (2).

Et les meilleures équipes ressortent éventuellement, comme lorsqu’on considère qu’une fois sur deux, un des deux meilleurs clubs d’une conférence soulève la Coupe Stanley.

Considérant ceci, est-il donc « logique » d’offrir une valeur supplémentaire et juste à une équipe qui a bien fait lors des quatre-vingt-deux matchs précédents?

Je crois que ce sont des questions qui doivent être posées.

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