Confrontation des 4 nations : Quand le nationalisme s’invite à la fête

AVERTISSEMENT! Si vous êtes un « athée politique » comme le disent maintenant fièrement certains, ou du genre à répéter le bon petit catéchisme qu’« il ne faut pas mélanger sport et politique », arrêtez immédiatement de lire cet article et, je sais pas, allez sur BetMachinchose parier sur les chances que Taylor Swift fasse le botté d’envoi au 1er match de la saison des Browns de Cleveland en 2038.

Ou, demeurez avec nous pour creuser un peu plus la relation étroite entre le sport et le nationalisme.

Cette dernière a déjà été discutée à trois reprises sur notre site cette semaine par mes collègues Max TrumanCharles-Alexis Brisebois et Kevin Vallée.

Les deux premiers se sont opposés à la création d’une Équipe Québec, suite à la motion en ce sens déposée par le PQ, alors que Kevin Vallée y est allé d’un texte fouillé appuyant l’idée.

Je pourrais critiquer longuement les textes de mes collègues Truman et Brisebois que j’adore et qui m’ont d’ailleurs encouragé à publier ce texte.

On est dans mes plates-bandes! J’ai déposé un mémoire de maîtrise sur le nationalisme et le sport en 2008, présenter sa conclusion dans l’ouvrage collectif Hockey et philosophie : La vraie dureté du mental en 2009 et créé le cours Sports, identités et sociétés au collégial en 2020!

Je me contenterai ici de rappeler rapidement ces quelques points qu’élaborait plus longuement Kevin Vallée dans son texte d’hier :

1- Il ne faut pas confondre un pays, une province, un territoire ou une région avec une nation. Le Québec est une nation reconnue, pas l’Ontario, pas les Maritimes, pas l’Ouest canadien.

2- On pouvait facilement être pour la création d’une Équipe Québec et appuyer le Canada contre les USA surtout dans le contexte politique actuel! On a d’ailleurs été des dizaines de milliers à le faire! Comme l’indique des sondages sérieux en matière d’identité politique, la première identité politique pour un grand nombre, voire encore une majorité de Québécois moyens/de souche/francophones, est le Québec. Le Canada forme pour plusieurs une seconde identité politique. Québécois d’abord, Canadien ensuite. De son côté, le Saskatchewannais moyen s’identifie d’abord au Canada avant de s’identifier à sa province… qui n’est pas une nation.

3- En quoi le « contexte » de la nation québécoise et d’une Équipe Québec dans des compétitions internationales non olympiques serait-il différent du contexte écossais à la Coupe du monde de soccer?

4- Une raison sportive comme penser qu’une Équipe Québec ne serait pas assez bonne pour gagner des compétitions internationales n’est pas une raison pertinente et suffisante pour s’opposer à sa mise sur pied. Seules des raisons et des décisions politiques peuvent empêcher sa création.

5- Au plan sportif, même s’il a déjà mieux paru sur la glace, le Québec, comme la Tchéquie, la Finlande et la Slovaquie, pourrait encore surprendre n’importe quelle nation un soir donné et rendre fiers ceux et celles qui s’identifient d’abord au Québec, qu’ils souhaitent en faire un pays ou non…

Je vais m’arrêter ici. Si vous voulez creuser davantage sur les nationalismes canadien et québécois et le rôle prépondérant qu’y joue le hockey, allez lire mes vieux trucs ou allez relire l’excellent texte que Kevin a publié hier!

Ô Canada! 

Retournons donc à la Confrontation des 4 nations et ce qu’elle a voulu dire pour le Canada qui a une fois de plus pu profiter du hockey pour promouvoir son unité nationale et « souder le pays ».

Si on avait des doutes avant le début des hostilités, la preuve a finalement été faite, la Confrontation des 4 nations, proposée par la LNH en remplacement de son traditionnel (et soporifique) Match des étoiles, a marqué les esprits.

Elle ne s’est pas approchée des émotions, voire de l’angoisse existentielle, suscitées par la Série du Siècle de 1972 entre le Canada et l’URSS, mais quand même, on a un peu navigué dans ces eaux-là…

Car oui, c’est bien sûr l’« Amérique » du subtil Trump 2.0 qui a ajouté pas mal de piquant à la compétition.

Trump, qui n’a pas assisté à la finale, n’est pas reconnu comme une grand amateur de hockey. Mais voilà quand même une compétition de haut calibre qui a opposé les États-Unis à trois pays qui, en général, n’épousent vraiment pas la vision du monde manichéenne, individualiste et autoritaire du milliardaire et criminel américain… réélu démocratiquement (!!!) en novembre dernier après avoir encouragé l’attaque du Capitole, symbole même de la démocratie américaine, moins de quatre auparavant! Ça ne s’invente juste pas.

Une identité nationale à réaffirmer

Bien sûr, la dernière élection américaine n’aura rien fait pour améliorer l’unité nationale au pays de l’Oncle Sam. On s’en doute. Et ce n’est pas une victoire des États-Unis cette semaine qui y aurait changé quoi que ce soit. Le hockey n’est, disons, pas aussi prisé au sud de la frontière…

Mais l’unité nationale canadienne battait aussi de l’aile depuis un bon bout de temps. En fait, on ne pense pas qu’elle ait volé bien haut, les deux ailes en même temps, très souvent dans toute son histoire, le « Canada » étant à la base une idée quelque peu vaporeuse « d’un océan à l’autre »…

La dernière fois que la Feuille d’érable a été aussi unie, que l’identité canadienne a été aussi forte que dans les rêves les plus fous d’Elvis Gratton, c’est probablement lors de cette fameuse Série du Siècle de 1972.

Pourtant, ce n’est pas tellement compliqué, l’unité et l’identité nationale. C’est un peu comme le jus en poudre, on n’a qu’un seul ingrédient à ajouter.

Le « nous contre eux », c’est l’eau de l’unité nationale, c’est la substance du sentiment identitaire. Surtout au Canada.

Justin Trudeau nous le rappelait lui-même récemment lors d’une entrevue sur CNN « Lorsqu’ils tentent de définir leur identité nationale [les Canadiens ont] tendance à dire : “Nous ne sommes pas Américains” ».

Et du « nous contre eux », de l’âgon ancestral, du conflit ontologique, Trump en génère à chaque tweet et il y en a eu une jolie quantité au pied carré, autant sur la glace que dans les esprits lors des deux matchs opposant le Canada aux États-Unis.

N’oublions pas que la nation est d’abord et avant tout, un « principe spirituel » comme le pensait Ernest Renan, ou une « communauté imagée » comme le démontrait Benedict Anderson, qui ne peut exister qu’à travers une forme ou une autre de nation building, de construction identitaire nationale.

Ainsi, le Canada moderne, bien au-delà du « chemin de fer » de votre secondaire 4, est avant toute chose une idée construite par une multitude de symboles et de traditions véhiculés et popularisés à compter du XXe siècle, à commencer par le hockey, son sport national, devenu sa grande fierté en bonne partie suite à la diffusion du hockey à la CBC à compter de 1933.

Depuis, Canada = hockey.

Et un match épique entre le Canada et les États-Unis – comme ce fut encore le cas en finale – pourra certainement marquer l’imaginaire collectif pendant un certain temps. Ça faisait quand même neuf ans que les meilleurs joueurs de deux pays ne s’étaient pas affrontés et dans le contexte politique actuel tout a été encore plus magnifié…

En somme, la victoire du Canada lors de cette compétition ne freinera pas les élans expansionnistes et les idées de grandeur de Trump, pas plus qu’elle ne réglera les importants défis économiques et politiques du Canada, autant avec son voisin qu’à l’intérieur de ses propres frontières.

Mais, telle une bougie d’allumage, elle pourrait certainement insuffler une dose d’ambition et d’inspiration, comme ont pu le faire – à une autre époque, dans un tout autre contexte et dans d’autres proportions – les prouesses de Maurice Richard pour le nationalisme Canadiens français, ancêtre du nationalisme québécois.

Ça pourrait mettre en place un climat, un état d’esprit, un élan propice à l’affirmation nationale canadienne et au dévoilement opportunistes de certaines politiques à l’avenant. Une occasion pour le Canada – ses élites et sa population à l’unisson – de souligner sa force, son unité et sa résilience comme on l’entend partout depuis jeudi soir.

À l’inverse, une défaite aurait provoqué une blessure narcissique, que Trump (et sa politique spectacle) se serait fait un plaisir d’amplifier et de ridiculiser à grands coups de bottes dans le visage.

Le cas échéant, la psyché nationale canadienne aurait pris un certain temps à s’en remettre…

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