On peut très bien imaginer Tom Dundon, le proprio des Hurricanes, siffloter Sweet Revenge de John Prine à bord de son luxueux pick-up tout équipé dans les rues de Raleigh en route vers l’aréna.
Ou encore, ce même Dundon, en attendant son poulet frit au service au volant, envoyer Carolina in my Mind de James Taylor à Jesperi Kotkaniemi pour que celui-ci l’ajoute à sa playlist, sourire en coin.
En apparence, les Canes ont osé et ils ont gagné.
En apparence, KK a aussi gagné, lui qui en plus d’empocher 6,1 M$ l’an prochain (!), évoluera maintenant loin de la pression médiatique montréalaise, et surtout, du manque de confiance du CH qui lui déplaisait manifestement.
Dans cette foulée, plusieurs se questionnent très sérieusement sur la qualité du développement dont a pu bénéficier Kotkaniemi à Montréal, à commencer par le principal intéressé. Même Bergevin a avoué hier qu’il ferait certaines choses différemment si c’était à refaire.
Shoulda, woulda, coulda comme disent les Yougoslaves…
Et la quasi totalité des commentateurs semblent unanimes sur un point : en Kotkaniemi les Canes ont mis la main sur un joueur au potentiel plus élevé que le Canadien en Dvorak.
En somme, malgré quelques éclaircis ici et là, Marc Bergevin et le Canadien sont largement dépeints comme les grands perdants et les gros méchants dans toute cette histoire et ils en sortent affaiblis autant au plan sportif que de l’image.
Le fameux potentiel de KK
Mais, tout ça n’est peut-être que perceptions estivales très hâtives.
D’abord, permettez-moi d’entretenir un TRÈS sérieux doute sur le postulat de départ le plus important de ce discours répandu un peu partout voulant que le potentiel de KK soit plus élevé que celui de Dvorak.
Cette idée semble surtout tirer sa source du fait que Kotkaniemi a été repêché au troisième rang et Dvorak au 58e. Or, en partant, le rang de sélection est une donnée qui ne veut souvent pas dire grand-chose.
À titre d’exemple, et sans comparer la qualité des joueurs dont il est question, qui prendriez-vous entre Kucherov, 58e en 2011 et, disons, Jonathan Drouin, 3e en 2013? Ou entre Galchenyuk, 3e en 2012, et Brayden Point, 79e en 2014? Ou encore, entre Nolan Patrick, 2e en 2017, et Alex Debrincat, 39e en 2016?
Et on pourrait continuer cette démonstration pendant plusieurs paragraphes.
Est-ce donc dire que de repêcher Kotkaniemi au 3e rang en 2018 était une grossière erreur de la part du duo Timmins-Bergevin?
Grossière? Non.
Malgré un début de carrière plutôt timide, KK leur a tout de même rapporté un choix de première ronde et un choix de 3e ronde, trois ans après son repêchage. On est loin de David Fisher, Louis Leblanc, Jared Tinordi et Michael McCarron!
Mais, erreur?
Oui.
Grave?
Oui, quand même un peu!
Imaginez le prix à payer pour mettre la main sur Quinn Hughes aujourd’hui!
En théorie, s’il était éligible à recevoir une véritable offre hostile difficile à égaler, Hughes en recevrait probablement une de plus de 10 276 830 M$ et donc, les Canucks envisageraient recevoir une compensation de quatre choix de première ronde!!!
N’en déplaise à ceux qui martèlent que le CH aurait dû sélectionner Brady Tkachuk – en rétrospective, ils n’avaient peut-être pas tort cela dit – il faut rappeler que le Canadien avait deux besoins organisationnels majeurs et bien documentés à combler lors de cet encan : la position de centre et le côté gauche de la défensive.
Dû à la rareté du produit sur le marché, le CH a choisi de s’attaquer à la position de centre à son premier tour de parole en misant gros sur le très vert Kotkaniemi et a espéré frapper un coup de circuit et combler son autre besoin tôt en deuxième ronde avec la surprenante sélection du méconnu Alexander Romanov (38e rang).
C’était une stratégie de repêchage tout à fait défendable. On n’aimait pas trop le petit gambler Hughes et on a plutôt choisi de viser un grand centre au potentiel top 6 et un défenseur robuste, fiable et mobile digne du top 4 dans les deux premières rondes.
Très bien.
Or, comme je l’avais argumenté dans un autre article qui comparait KK et Hughes 11 jours avant le repêchage, tout indiquait, et tout indique toujours, que 2018 n’était juste pas une bonne année pour repêcher un centre dans le top 5, voir le top 10…
Mais, avec son excellent championnat des moins de 18 ans, Kotkaniemi avait su convaincre l’état-major du Tricolore que le risque en valait la chandelle.
Le reste est maintenant de l’histoire.
En plus de leur rang de sélection qu’on peut jeter aux poubelles, il nous faut aussi considérer la production chez les juniors de Dvorak et Kotkaniemi ainsi que leurs statistiques depuis leur arrivée respective dans la LNH.
Encore ici, rien ne suggère clairement que Dvorak ait un potentiel inférieur à celui de Kotkaniemi.
On aurait même envie de dire le contraire sous plusieurs angles!
On jase, mais dans un univers alternatif, s’il avait jeu la chance de jouer au centre de Max Domi, Mitch Marner et Matthew Tkachuk lors de son stage junior, entre 18 et 20 ans, Kotkaniemi aurait-il assurément récolté 109 points en 66 matchs et 121 points en 59 matchs, dont 52 buts, comme a pu le faire Dvorak?
Pas sûr pantoute, moi!
Pour commencer, KK ne possède pas la touche de marqueur de Dvorak. Il envoie presque systématiquement un fax à chaque fois qu’il décoche son tir du poignet. Dans la LNH, en situation de match, un tir foudroyant ne vaut généralement pas grand-chose si le gardien peut le voir partir, s’il n’est pas déguisé/voilé (voire Suzuki, Nick) ou s’il est neutralisé à sa source par les défenseurs.
On a aussi bien sûr relevé que le plus haut total de points en une saison de Dvorak, 25 ans, est de 38 et que KK en a inscrit 34 à 18 ans.
Mais, en plus de ne pas souligner que Dvorak aurait enregistré 45 points au prorata sur 82 matchs lors des deux dernières campagnes, on oublie que ce même KK en a aussi tristement enregistré huit en 36 matchs à sa deuxième saison avant d’être rétrogradé dans la AHL, et encore seulement une projection de 29 points en 82 matchs à sa troisième année.
Pendant ce temps, Dvorak a toujours maintenu une production modeste mais très constante, entre 33 et 45 points, dans un rôle d’homme à tout faire, aucunement protégé par ses coachs en Arizona. L’Américain a aussi su maintenir un haut niveau de fiabilité et de professionnalisme dans un club très faible offensivement et dans un environnement très peu stimulant – d’aucuns diront un club mené tout croche.
Même si Dvorak a macéré deux années supplémentaires dans la OHL après son repêchage avant de faire le saut directement chez les Coyotes à 20 ans, au niveau de la moyenne de points par matchs dans la LNH, il n’y a même pas photo : c’est 0.48 pour Dvorak contre 0.36 pour Kotkaniemi
Dans un environnement plus favorable, Dvorak peut certainement atteindre la marque des 50 points, certains comme Maxime Comtois parlent même de 60 points. On verra…
En somme, le potentiel de Kotkaniemi est pour l’instant une notion surtout théorique, un fantasme, très peu appuyé par des preuves empiriques, mis à part un nombre de buts certainement très intéressant en séries. Tandis que le potentiel de Dvorak, moins médiatisé, a été dissimulé par les circonstances peu avantageuses, des compagnons ordinaires faute de mieux et un rôle plus défensif dans le marché le plus discret de la ligue en Arizona.
Mais, bref, autant en amont qu’en aval, le mieux que le CH pouvait espérer de Kotkaniemi était qu’il devienne un centre de deuxième trio. Or, après trois saisons, Kotkaniemi n’en avait pas encore assez fait aux yeux des dirigeants montréalais pour lui donner plus de responsabilités et leur donner espoir qu’il allait assurément pouvoir remplir un rôle de premier plan à court et moyen terme.
Son éclosion en Caroline est loin d’être impossible, mais j’aurais tendance à arriver à la même conclusion qu’eux : elle n’est pas assez certaine. Les chances que Kotkaniemi devienne un vrai joueur d’impact s’amenuisaient de mois en mois avec le Tricolore.
Il n’était pas le premier jeune à surfer sur l’adrénaline lors d’un premier camp à Montréal.
On espère aussi que le CH aura pris note qu’il ne sera pas le dernier.
En rétrospective, on sait maintenant qu’on aurait probablement dû le développer sagement, loin de Montréal, en utilisant quelques dollars pour un ou deux vétérans dans les huit millions qu’on a décidé de ne pas dépenser pendant deux saisons.
En contrepartie, peut-être aussi que le talent et le caractère de Kotkaniemi n’étaient pas aussi fantastiques qu’on le croyait… Même en bas âge, les vrais de vrais joueur d’impact ratent rarement leur coup, ils font leur place, ils défoncent la porte.
Qu’à cela ne tienne, KK est parti et en Dvorak, Bergevin n’a pas trop perdu au change, loin de là. Il a maintenant le 2e centre fiable qu’il recherchait au 3e rang en 2018.
On le compare à Kotkaniemi depuis tantôt, mais le CH s’est surtout déniché un très digne successeur à Philip Danault, un joueur intelligent sur 200 pieds, fort au cercle des mises en jeu et qui possède une touche de marqueur encore sous-estimée.
Qui plus est, avec Dvorak le CH octroie exactement le salaire (4,45 M$) qu’il aurait idéalement voulu verser à Danault pour les 4 prochaines années.
À une ère de plafond salarial immobilisé, ça vaut de l’or.
Ok, mais qui remplacera KK alors?
On ne sait pas quelle genre d’audition il aura au centre lors du prochain camp, il se pourrait même qu’il soit retourné pour une autre fois dans la AHL pour débuter la saison, mais le grand oublié/négligé dans ce dossier c’est peut-être Ryan Poehling. Il n’y a pas si longtemps, disons, avant sa commotion cérébrale au camp de 2019, certains, dont moi, considéraient que Poehling était meilleur et plus mûr sous certains aspects que KK. Le jeune homme a retrouvé ses repères l’an dernier et, à 22 ans, il pourrait très bien surprendre.
L’Américain demeure un patineur très puissant (et non pas « sous la moyenne » comme le pense tristement Corey Pronman), un joueur efficace sur 200 pieds, avec de belles habiletés de passeur et une certaine touche autour du filet, comme il a pu nous le démontrer à maintes reprises à Laval l’an dernier. Il faut juste espérer maintenant que sa récente opération au poignet n’ait pas un impact négatif important.
Enfin, rappelons que c’est ce même Poehling que Bergevin désignait encore en février 2020 comme son futur centre de 3e trio « d’ici quelques années ». Ça annonçait déjà de mauvaises nouvelles pour les négociations avec Philip Danault…
Drouin, la carte cachée?
L’autre option très intrigante qui fait son chemin et qui n’est vraiment pas si bête quand on y pense, serait de tenter à nouveau l’expérience de placer Jonathan Drouin au centre.
Drouin a joué une année au centre pour Dominic Ducharme à Halifax. Il a aussi évolué à cette position à Montréal avec un succès mitigé sous Claude Julien en 2017-2018 lors de sa première année avec le club. Mais, suite à un début de saison plutôt difficile, on notera que Drouin avait terminé l’année en force avec pas moins de 13 points en 14 matchs. On le voyait de plus en plus à son meilleur en possession de la rondelle, un élément moins présent dans son jeu lorsqu’il évolue à l’aile.
Du reste, Drouin (42% en 2017) ne sera probablement pas meilleur au cercle des mises en jeu que Kotkaniemi (47% l’an dernier), qui est par ailleurs supposé évoluer à l’aile à ses débuts en Caroline. Même s’il serait beaucoup moins exposé qu’en 2017-2018, le natif de Saint-Agathe pourrait être encore victime de quelques crampes au cerveau ici et là dans ses couvertures défensives. Le cas échéant, faudra vivre avec. Ce sera à lui et ses coéquipiers de compenser par des éclairs de génie en territoire adverse.
Mais, en santé et dans de bonnes dispositions, le talent offensif du Québécois est tout simplement supérieur à celui de Kotkaniemi. Si on protège Drouin en le faisant jouer dans ses forces, sans trop de pression, derrière Suzuki offensivement et derrière tout le monde défensivement, bref, en lui confiant essentiellement des missions offensives, son talent et une éthique de travail adéquate devraient lui permettre de connaître une saison tout à fait satisfaisante. Surtout qu’il serait entouré d’ailiers capables de mettre la rondelle dans le filet comme Hoffman, Toffoli, Anderson, Armia, Caufield, Gallagher et compagnie.
Les options ne manquent pas.
Toffoli-Suzuki-Caufield (80 buts)
Hoffman-Drouin-Anderson (60 buts)
Lehkonen-Dvorak-Gallagher (45 buts)
Perreault-Evans-Armia (30 buts)
On aurait là une attaque très équilibrée avec deux unités très offensives et deux unités plutôt défensives mais qui peuvent encore marquer leur part de buts.
Et surtout, tout le monde semble assis dans la bonne chaise. Voilà une donnée humaine et sportive très importante pour maximiser la production et le niveau de motivation de chacun.
En somme, ce serait comme si on remplaçait Danault par Dvorak et Kotkaniemi par Drouin.
Et en attente on aurait toujours Paquette, Poehling, Ylonen et Harvey-Pinard.
C’est loin d’être un portrait désolant.
Plus on analyse ça, plus on voit mal comment on peut avancer sans retenu que le CH est clairement moins bon qu’il était au centre avant même que la rondelle tombe sur la patinoire le mois prochain.
Disons que c’est pas comme lorsqu’on avait tenté de nous faire croire que le beau comité formé de Alzner, Streit, Schlemko, Morrow, Davidson et Jerabek allait être meilleur que Markov, Emelin, Beaulieu et Sergachev.
Aux dernières nouvelles, cette couleuvre n’a pas encore été digérée!