La médiocrité ne doit pas être récompensée, dit-on. Mais sans récompense, comment mettre fin à la médiocrité? Est-ce que toute médiocrité est planifiée? Est-ce qu’elle fait en quelque sorte partie du cycle naturel d’une ligue sportive? Est-ce qu’au cœur d’une parité idéale, la médiocrité est la bienvenue?
Ce sont toutes des questions que je me suis posées après avoir lu l’article Finissons-en avec la médiocre loterie de la LNH, de Martin Leclerc, pour Radio-Canada.
À la fin d’un essai dans lequel Leclerc dénonce une loterie qui récompense la « médiocrité planifiée », il propose le concept de « roue » : échelonnée sur 32 ans, la « roue » offre un choix 1-32 à toutes les équipes, alternées de façon équivalente selon un cycle prédéterminé qui permet une construction « planifiée ».
Des questions se posent, toutefois, quant à un changement qui serait assez drastique dans l’écosystème sportif nord-américain.
Les reconstructions, 10 ans plus tard
« Les dirigeants de ces clubs espèrent ainsi accumuler suffisamment de talents pour éventuellement bâtir une équipe championne. Il y a toutefois très peu d’élus parmi ceux qui s’aventurent dans cette voie. Reparlons-nous dans 10 ans, même heure même poste, pour faire le décompte de toutes ces coupes que les Sharks, les Blackhawks, les Ducks, les Blue Jackets, le Tricolore et les anciens Coyotes auront remportées », fait valoir Martin Leclerc.
C’est un constat assez important, considérant qu’une série de hauts choix n’est effectivement pas synonyme d’une équipe championne.
Allons donc faire un petit tour il y a 10 ans, en 2014, et voyons ce qu’il en est, une décennie plus tard.
Il y a eu des échecs.
Les Blue Jackets viennent de participer aux séries et semblent finalement s’en sortir après neuf choix top-10 de suite, suivis par Ryan Johansen (4e en 2010) et Ryan Murray (2e en 2012).
Ils feront les séries lors de quatre saisons consécutives, remportant une ronde mémorable contre le Lightning, avant de s’écrouler et de recommencer à zéro.
Les Islanders viennent de repêcher sept fois en neuf ans dans le top-10, dont John Tavares au premier rang en 2009.
Ils atteindront la Finale de l’Est deux fois, mais sans leur capitaine, aidés par un Mathew Barzal repêché 15e l’année suivante, mais surtout en tant qu’équipe défensive underdog qui n’a par la suite pas aspiré à plus.
Les Sabres viennent de présenter un alignement odieux qui a remporté seulement 21 matchs en 2013-2014, et feront pire l’année suivante pour repêcher Jack Eichel.
Malgré les quatre choix de loterie précédent 2014 et les huit qui suivront, les Sabres n’ont toujours pas participé aux séries, et tardent à le faire malgré un noyau plus qu’intéressant. Leur « médiocrité planifiée » et exagérée, ajouterai-je, a eu des dommages importants sur la compétitivité et la crédibilité de l’organisation.
De 2004 à 2017, les Coyotes ont repêché dix fois parmi les 15 premiers et sept fois dans le top-8. Pourtant, l’équipe n’a jamais eu quelconque succès marquant, tellement que le marché a perdu son club – qui s’appelle maintenant Utah Hockey Team.
De bonnes équipes sont également nées de ce processus. Il faut le dire, tout en évoquant le contexte.
Les Oilers viennent de repêcher Leon Draisaitl, Darnell Nurse, Nail Yakupov, Ryan Nugent-Hopkins et Taylor Hall.
10 ans plus tard, l’équipe n’a passé le deuxième tour qu’une seule fois.
Deux ans après la sélection de Morgan Rielly au cinquième rang, les Maple Leafs sélectionnent William Nylander au huitième rang et s’apprêtent à détruire leur club pour sélectionner Mitch Marner et Auston Matthews.
Et bien qu’elle sortira peut-être un jour de sa torpeur, la formation torontoise demeure à ce jour une risée pour qui le noyau n’a remporté qu’une série depuis très et trop longtemps. On pourrait dire que la médiocrité orchestrée par un alignement presque certain de terminer au dernier rang de la LNH a fortement nui à la culture de l’organisation.
Les Panthers viennent de compléter une séquence de trois choix top-3 en quatre ans avec Aaron Ekblad, 1er, Aleksander Barkov, 2e, et Jonathan Huberdeau, 3e.
Le club a connu un printemps 2023 magique jusqu’en Finale de la Coupe Stanley. Or, à travers les problèmes de l’organisation à attirer des spectateurs, les Panthers n’ont pas délibérément été mauvais et avaient cruellement besoin de talent sur la patinoire.
Un exemple similaire s’est passé chez les Hurricanes. Au coeur d’une séquence de trois ans avec deux choix #5 et un choix #7, entre Jeff Skinner (2010) et Andrei Svechnikov (2018), les Canes se bâtissent un bon club.
Son succès des dernières années est marquant, mais on peut difficilement suggérer que l’équipe a volontairement stagné dans les bas-fonds. Et sans l’élaboration de cette équipe excitante, l’amphithéâtre ne serait fort probablement pas plein et les rumeurs de déménagement n’auraient peut-être jamais cessé – comme en Floride.
De ce lot d’équipes qui ont souvent repêché dans le top-10 il y a 10 ans, il y a toutefois déjà eu des francs succès.
N’oubliez toutefois jamais qu’entre les sélections de Matt Duchene en 2009, Gabriel Landeskog en 2011, Nathan MacKinnon en 2013 et Cale Makar en 2017, l’Avalanche a été accidentellement mauvais et inconstant. Et n’oubliez jamais que la Coupe Stanley gagnée 11 ans après la sélection de Victor Hedman et Steven Stamkos, chez le Lightning, a surtout été marquée par des bons coups au repêchage et une équipe de développement hors-pair.
La nuance est drôlement importante. Il y en a quelques unes dans les dernières lignes.
Ni noir, ni blanc
Je remarque deux nuances à deux niveaux différents.
D’abord, il y a une différence entre une organisation qui démolit volontairement son alignement et un club qui tarde tout simplement à éclore ou avoir du succès.
Ensuite, on comprend que plusieurs choix parmi les cinq premiers ne garantissent rien – mais qu’un seul premier choix au total assurera normalement une équipe somme toute compétitive.
Le problème, c’est donc de récompenser une équipe qui dynamite son club en lui octroyant un premier choix au total.
Car entendons-nous :
Je n’ai pas de problème avec les Coyotes, qui tentent de sortir du trou, en vain, et qui terminent la saison avec 36 victoires et 77 points… Mais j’ai effectivement un problème avec les Sharks qui se sont débarrassés de quoique ce soit de potable pour cumuler 19 victoires et 47 points.
Atteindre naturellement la fin d’un cycle, ça arrive. Gagner moins de 25% de tes matchs, ça n’arrive pas par hasard.
Or, pour régler ce problème, il n’est pas nécessaire de dire adieu au système de la loterie. Il suffit tout simplement de favoriser un système qui décourage les équipes de vouloir détruire leur alignement pour obtenir un premier choix au total.
L’exemple de la NBA
C’est un cliché, et vous pouvez rouler des yeux, mais c’est vrai. La LNH aime normalement beaucoup suivre l’exemple de la NBA.
Il ne faut pas chercher plus loin que le 12 mai pour trouver un exemple d’une loterie qui fonctionne dans le sport professionnel nord-américain.
En 2019, la NBA a pris la décision d’augmenter le nombre de choix tirés au sort lors de sa loterie de trois à quatre.
Le résultat?
Les Pistons de Detroit, la pire équipe du circuit, ont glissé du 1er au 5e rang au repêchage de 2024… Deux fois de suite!
Ce sont plutôt les Hawks d’Atlanta, qui n’avaient que 3% de chances de sélectionner au premier rang, qui ont obtenu cette sélection.
On se rappellera que l’an dernier, le Français Victor Wembanyama, qui vient possiblement de connaître la meilleure saison recrue de l’histoire de la NBA, était le fameux prix de la loterie du repêchage. Être historiquement mauvais a plutôt valu aux Pistons… Ausar Thompson.
Les Pistons, faibles de leur séquence record de 28 défaites consécutives, se présentaient à la loterie avec 14% de chances de repêcher premier – une probabilité à égalité avec l’avant-dernière équipe au classement, les Wizards.
Et surtout, seulement 0,7% devant l’équipe en 28e place, les Hornets, et 0,8% devant l’équipe en 27e place, les Trail Blazers.
Gagner 17% ou 26% de tes matchs n’a pratiquement pas de différence, dans la NBA. Les Pistons avaient près de 50% de chances de sélectionner 5e, et c’est ce qui est arrivé.
Le contre-exemple de la LNH
Et si les Blackhawks, au lieu de mettre la main sur l’équivalent Wembanyamesque de la LNH, Connor Bedard, s’étaient retrouvés avec… David Reinbacher?
Il est difficile de comprendre pourquoi la LNH a bougé en sens inverse.
La probabilité de la pire équipe au boulier était de 25%, avant 2015, lorsqu’on l’a réduite à 20%, puis à 18% avec l’arrivée de Vegas, et à 16,6% en 2021. On semblait dans la bonne direction, et les surprises se multipliaient.
Puis, dès l’année suivante, le chiffre est devenu plus élevé que celui de 2014, à 25,5%.
Terminer au dernier rang, dans la LNH, t’offre plus qu’une fois sur quatre le premier choix au total, et j-a-m-a-i-s pire que le troisième.
Il y a un problème avec la loterie, et ce n’est pas son existence.
C’est que la Ligue permette qu’elle soit un incitatif pour être non seulement médiocre, mais bien cruellement mauvais – contre vents et marées, la pire équipe de la ligue.
Les dangers de la « roue »
Maintenant qu’on a établi ce qui en est avec la loterie actuelle, revenons à la « roue ».
Commençons d’abord avec ce qui me semble le plus évidemment problématique avec ce système, c’est-à-dire qu’il tombe inévitablement à l’eau dès qu’il y a une expansion. Il n’y a selon toute vraisemblance pas de solution, outre refaire l’entièreté de l’ordre. L’aspect de planification prend le bord, disons.
La « roue » ouvre aussi la porte à des anomalies.
Qu’arrive-t-il quand les meilleurs joueurs d’un club vieillissent, que l’équipe atteint la fin d’un cycle, mais qu’elle ne bénéficie pas de plusieurs bons choix consécutifs pour « kickstarter » la franchise?
Qu’est-ce qui arrive si Sidney Crosby, Evgeni Malkin et Kristopher Letang prennent leur retraite en 2025, mais que le système en place leur donne accès aux choix 30, 15, 18, 6, 27, et 10 au cours des six prochaines années?
Qu’arrive-t-il quand une équipe involontairement médiocre n’arrive plus à attirer les agents libres dans son marché, que les monnaies d’échange sont faibles et qu’il faut attendre 3 ans avant de repêcher un joueur d’impact – qui pourrait lui-même prendre quelques années avant de devenir un atout concret?
Qu’est-ce qui arrive si les Jets de Winnipeg perdent leurs bons joueurs, que les sièges se vident, qu’aucun joueur d’impact ne veut déménager au Manitoba et que la séquence de choix qui leur est offerte consiste en une série de sélections aux rangs 31, 14, 19, 7, 26, 11, et 22?
Qu’arrive-t-il lorsqu’une équipe déjà très compétitive est récompensée avec un joueur générationnel?
Qu’est-ce qui arrive si la jeune équipe des Sabres de Buffalo émerge, qu’elle se rend en Finale de l’Est en 2025 et qu’elle gagne la Coupe Stanley en 2026, simplement pour être récompensée avec Gavin McKenna lors de ce même repêchage?
Il y a des raisons de craindre qu’il faudrait beaucoup du temps avant que l’équilibre ne soit rétabli – ou j’imagine, établi.
Un cycle difficilement simulable
L’idée de la « roue » tourne (jeu de mot involontaire) autour de l’idée qu’il est possible de planifier le cycle de compétitivité d’une équipe.
La loterie du repêchage permet toutefois une fluidité nécessaire autour de ce processus, mais surtout une assurance que les équipes moins bien nanties sont poussées vers le haut, alors que les puissances ne se font pas octroyer de cadeau.
Cette saison, il n’y avait que 10 points de différence entre la dernière place donnant accès aux séries et le 25e rang, soit l’équipe détentrice du huitième choix au total.
La LNH n’est pas composée de 18 équipes compétitives et de 14 équipes qui « tank », et la course aux séries n’était pas terminée au début du mois de février. Le 1er février, onze équipes étaient toujours à sept points ou moins des séries, et six d’entre elles à seulement trois points du 16e rang.
Il y a peut-être un problème dans les bas-fonds de la Ligue nationale de hockey, mais la solution n’est pas la « roue », à mon avis.
Questions sans réponses
Je me permettrais d’ailleurs de poser quelques questions rhétoriques.
Est-ce qu’un modèle de circuit professionnel dans lequel on observe une parité presque absolue où toutes les équipes aspirent aux séries est réalisable?
Qu’arriverait-il d’une ligue où 32 équipes aspirent aux grands honneurs, mais que seulement la moitié d’entre elles accèdent aux séries?
Quel format conviendrait à une telle vision?
S’ennuierait-on des dynasties, dans une ligue où le talent serait encore plus dilué à travers plus de 30 équipes?
C’est trop fictif pour y répondre, pour l’instant.
On pourrait peut-être tout simplement commencer par abaisser les probabilités des pires équipes, réduire l’incitatif de la dernière place et tirer plus que deux noms dans le boulier?
La loterie est brisée, mais pas irréparable.