À en croire plusieurs partisans qui dansent en rond autour d’un même feu en répétant des chansons apprises par cœur, Sylvain Lefebvre ne fait pas une bonne job à Hamilton.
Surtout quand, comme il l’a fait la fin de semaine dernière, il place le talentueux Sven Andrighetto sur la galerie de presse pour un match, question de lui passer un petit message. Un petit message de maturité, semble-t-il. Trois points à son retour au jeu, en passant…
Alors, en plus de cette petite tape sur les doigts, sur quoi se base-t-on pour dire ad nauseam que Lefebvre est mauvais?
Pas grand-chose. C’est assez superficiel, en fait.
Premièrement, on pointe presque toujours en direction de la fiche peu reluisante de Lefebvre depuis son arrivée à Hamilton et en direction de la faible production offensive des Bulldogs.
Deuxièmement, dans certains cercles – on vous laisse deviner lesquels – on surévalue systématiquement la qualité des joueurs des Bulldogs. On y dit même que Hamilton a un club « paqueté » cette année! Paqueté? Pas un seul choix de première ronde, sauf Tinordi et Beaulieu à temps partiel, rappelons-le…
Puis, le message se répand et tout le monde le répète un peu partout sans grande remise en question : « Lefebvre est pourri »!
On entre alors dans la « perception extérieure » la plus totale, la construction d’une légende urbaine. Des blaireaux qui parlent à d’autres blaireaux au sujet d’une grosse marmotte sanguinaire qu’ils n’ont jamais vue de proche.
On oublie donc une fois de plus l’essentiel.
Le mandat premier de Lefebvre est-il, a)d’avoir une fiche gagnante ou, b) de développer des joueurs en vue de la LNH, d’en faire des vrais professionnels, peu importe le niveau de talent de ceux-ci?
Si vous avez répondu « b », vous êtes un homo sapiens à peu près sain d’esprit.
Et si vous avez répondu « b » on voit très mal comment vous pouvez dire sans aucune nuance que Lefebvre fait un mauvais travail.
En tous cas, malgré sa fiche peu reluisante après deux saisons au chapitre des victoires (61-83-4-12), Marc Bergevin, un gars assez sensé qui semble plutôt bien connaître son travail et celui de tout le monde dans l’organisation, n’a pas cru bon de remercier Lefebvre l’été dernier, préférant le laisser écouler la dernière année de son contrat. Il semble également satisfait du travail de Stéphane Lebeau embauché à l’été 2013 pour épauler Lefebvre.
Est-ce que le contrat de Lefebvre sera reconduit? Pas sûr.
Est-ce que Lefebvre est vraiment l’homme de la situation à Hamilton. On peut soulever des doutes.
Y a-t-il des meilleurs candidats que lui dans le junior ou ailleurs? Fort possible. Benoit Groulx, l’entraîneur-chef des Olympiques de Gatineau et d’ÉCJ, on s’en rappellera, avait décliné l’offre du Canadien pour des raisons familiales.
Mais de conclure unilatéralement que Lefebvre est « pourri », il y a un pas que je ne suis pas prêt à franchir.
Des bons résultats, il y en a
Brendan Gallagher n’a mis qu’une demi-saison, la saison du lock-out, avant de faire le saut dans la LNH. Dans un cas comme le sien, le crédit revient surtout au joueur, mais Lefebvre ne l’a certainement pas scrapé celui-là!Et s’il a produit à un plus haut niveau à son arrivée à Montréal c’est essentiellement parce qu’il a tout de suite joué avec des meilleurs joueurs offensifs. À Hamilton, il avait zéro et une barre à l’attaque cette année-là.
Michael Bournival, malgré un talent moyen, une seule saison à Hamilton et c’était réglé. Encore une fois, Bournival est un bourreau de travail, un pro dans l’âme, mais Lefebvre a manifestement fait un excellent travail avec lui.
Nathan Beaulieu a joué des matchs à Montréal dès sa première année chez les pros. Il a terminé sa deuxième année à la ligne bleue du Canadien en demi-finale de la Coupe Stanley et il a très bien paru. Depuis, on hésite à le sortir de l’alignement ou le rétrograder car on sait qu’il est devenu un joueur dominant dans la AHL. Beaulieu n’a pas encore 22 ans et on peut douter qu’il soit si facile à diriger…
Jarred Tinordi, malgré un talent limité, une LNH de plus en plus basée sur la vitesse et les habiletés, et malgré la courbe de progression d’un défenseur de 6’6 qui n’atteindra son zénith qu’à l’âge de 28-29 ans, Tinordi, donc, a déjà joué 44 matchs – une demi-saison – avec le CH depuis son arrivée chez les pros. Dans son cas, son développement a beaucoup plus à voir avec l’aspect mental; sa confiance personnelle, et l’aspect technique; le peaufinage de ses habilités qu’avec le travail tactique de Lefebvre.
Greg Pateryn est à un cheveu de la LNH. Il a d’ailleurs un contrat one-way l’an prochain. Malgré un départ un peu plus lent cette année, dû entre autres au retour de Nygren, il a toujours su progresser sous Lefebvre. On parle d’un modeste choix de 5e ronde, 128e au total…
Sven Andrigettho, qui a son petit caractère, a connu une superbe première saison dans la AHL. Malgré un récent petit coup de bride de Lefebvre, un simple rappel qu’il faut plus que du talent pour percer chez les pros, il a repris là où il a laissé la saison dernière. On serait fou de parier contre les chances d’Andrigettho de jouer dans la LNH dans un avenir rapproché. Et, pour la petite histoire, on se rappellera que Guy Boucher avait aussi mis un certain P.K. Subban dans les estrades de son temps avec les Bulldogs. Ça n’a apparemment pas fait trop du tort…
Malgré sa sélection tardive en 5e ronde, Charles Hudon est un des petits bijoux de l’organisation, un des plus habiles et plus intelligents jeunes joueurs repêchés par le club dans les 10-15 dernières années. Il brille de tous ses feux sous Lefebvre et devrait logiquement, comme Andrighetto, aboutir dans la LNH plus tôt que tard. Il pourrait même en avoir un petit avant-goût dès cette saison en cas de blessures à Montréal.
Même si une part du crédit doit sans doute revenir aussi à Stéphane Lebeau dans le développement de ces deux derniers jeunes joueurs de talents, peut-on affirmer que Lefebvre les muselle et les empêche de progresser en tant que professionnel?
Puis, je ne pense pas qu’un gars limité comme Gabriel Dumont ait souffert d’avoir Lefebvre comme coach. Au contraire, Dumont en est un autre qui progresse d’année en année. Il est seulement victime de sa taille et du fait que Bergevin est toujours en mesure de trouver mieux que lui sur le marché de joueurs autonomes (Malhotra) ou par voie de transaction (Weise) pour combler des postes sur le 4e trio..
Enfin, est-ce à cause de Lefebvre que Magnus Nygren est reparti en Suède l’an dernier? Pense pas. Ça semblait presque exclusivement relié à l’expérience de la ville d’Hamilton que monsieur ne trouvait pas de son goût. En tout cas, on voit mal comment il serait retourné jouer sous Lefebvre s’il avait cru ce pilote incapable de le rapprocher de la LNH. Et pour le reste, j’imagine qu’on lui a trouvé un plus beau quartier! Nygren connaît d’ailleurs un autre bon début de saison…
Pas de club à ses deux premières saisons
Mais surtout peut-on vraiment pointer en direction de Lefebvre pour les piètres résultats des Bulldogs à ses deux premières saisons?
À sa première année, sa brigade défensive était presque exclusivement formée de joueurs recrues, dont un seul au talent au-dessus de la moyenne : Beaulieu. Quand on sait que la défensive est le nerf de la guerre chez les pros et que la marche entre le junior et les pros est haute comme ça, Lefebvre était condamné à perdre en partant.
Son attaque était mené par Dumont, Leblanc qui n’a plus jamais été le même après sa blessure à la cheville, et Gallagher qu’il a perdu en cours de route. Le reste? Holland, Nattinen, Stortini, Avtsin et autres joueurs sans avenir. Pas grand espoirs de premier plan là ni un très grand nombre de vétérans de qualité!
À sa deuxième saison, la défensive était déjà un peu plus expérimentée, mais il avait encore une attaque de tire-pois, menée par un AHLer for life en la personne de Martin St-Pierre et Andrighetto, à qui on ne pouvait quand même pas demander la lune.
Les deux premières saisons, dans mon calepin, ne comptent pas. Les Dogs n’avaient pas de club. Cette saison, ils sont encore très jeunes mais il y a plus de talent. Voyons voir si Lefebvre saura les aider à accéder aux séries. Il est beaucoup trop tôt pour lui lancer des roches à la moindre occasion… De grâce, laissons-lui la chance de diriger ce qui semble être un semblant de club compétitif pour la première fois en trois ans.
Leblanc, Ellis, Dietz…
Certains diront encore que Lefebvre a gâché la carrière de Louis Leblanc pour qui on voyait un assez bel avenir à Montréal. Il y a certainement eu des accrocs entre les deux, mais de ce qu’on sait sur l’histoire, le blâme va autant sinon plus au joueur qu’à l’entraîneur. Malgré les apparences de « petit monsieur tranquille », Leblanc n’est pas exactement facile à coacher…
On ne saurait trop dire si ça va mieux à Norforlk cette saison pour le gars de Pointe-Claire. Il a 8 points en 13 matchs, -1… C’est encore assez ordinaire pour un choix de premier tour rendu à 23 ans. Il pourrait très bien avoir la même fiche à Hamilton…
On peut aussi regarder en direction de Morgan Ellis et Darren Dietz, dont le développement semble stagner à Hamilton. Mais encore ici, parle-t-on vraiment de talents exceptionnels ou de joueurs, comme tant d’autres, qui ont connu leurs meilleurs moments pour de bons clubs dans le junior en tant que joueurs de 19-20 ans et qui sont présentement un peu victime du nombre à la ligne bleue des Dogs?
Ce n’est toujours pas de la faute à Lefebvre si Bergevin a mis la main sur le vétéran Joe Finley pour encadrer les jeunes! J’image que Lefebvre va le faire jouer, et si ça ne fait pas, l’organisation va le libérer. En attendant pour un Dietz et un Ellis, il y a Mac Bennett qui semble plutôt bien parti, 4 points, -1 en 12 matchs…
Talent et responsabilité du joueur
Bref, encore ici, ne perdons pas de vue la responsabilité du joueur dans son propre développement et ne voyons pas tous les espoirs du CH qui s’amènent à Hamilton comme des joueurs qui devraient tous nécessairement accéder à la LNH avant l’âge de 24 ans. Il y a souvent de la surévaluation au pied carré lorsqu’il est question des espoirs de l’organisation dans les cercles de fans.
Il faut donc être réaliste par rapport au talent des joueurs et leur responsabilité dans leur propre développement. Sinon, en tant que partisans, on ressemblera pas mal à ces chers parents « spécialistes en pédagogie » qui mettent bêtement la faute sur le « méchant » professeur lorsque leurs « petits génies » échouent lamentablement tous leurs examens.