En ce grand retour du hockey de la LNH, je vous propose une petite rubrique « Trois CHoses » sur des aspects qui ont attiré mon attention dernièrement, notamment sur le leadership au sein du Tricolore et sur ce qu’on a pu entendre et lire sur Alexis Lafrenière.
Mais commençons par nous mettre dans le bain des séries du CH en tentant de répondre à cette petite question…
1) Y a-t-il un « gamer » dans ce vestaire?
Je vais bientôt souffler 42 bougies. Mon plus vieux souvenir de hockey – un peu brumeux – est la défaite crève-cœur du Canadien contre les Nordiques de Québec en 1982 sur un but de Dale Hunter en prolongation. J’ai pleuré un peu ce soir-là, peut-être parce qu’il était un peu tard pour un jeune fan de trois ans et demi!
Des souvenirs beaucoup plus clairs et vivants sont associés aux séries de 1986. Patrick Roy avec ses jambières brunes, des arrêts spectaculaires contre les Rangers, le grand écart en « flashant » la mitaine sur des tirs de la lignes bleue, Claude Lemieux avec un revers dans le haut du filet contre les Whalers, Brian Skrudland qui marque contre les Flames en finale, etc.
Puis, évidemment, 1993.
Patrick Roy, encore. Mais aussi John Leclair et Eric Desjardins contre Los Angeles en finale. Paul Dipietro dans le match 6 contre les Nordiques dans un Forum en délire et devant un Pierre Pagé en furie contre sa troupe, en particulier un certain Mats Sundin.
Muller et Damphousse s’illustraient à chaque match et ont terminé les séries avec une impressionnante récolte de points : 17 en 20 matchs pour Muller, 23 pour Damphousse, pas mal…
Des gamers de séries, le CH en regorgeait en 1986 et 1993.
J’inclus facilement Koivu et Kovalev dans le lot, eux qui ont maintenu une moyenne d’environ un point par match en séries en carrière avec le CH.
On peut ensuite penser à Halak et Cammalleri, en 2010.
Et finalement Subban, à plusieurs reprises, puis Radulov, même si ce fut assez bref dans son cas…
Price? Il a certainement gagné sa part de matchs ici et là en séries depuis le début de sa carrière. Paradoxalement, on a surtout pu apprécier davantage sa valeur par son absence suite à la sournoise chute « accidentelle » de Chris Kreider en 2014. Price a été excellent samedi dernier et est en général bon, voire très bon en séries, comme en font foi ses impressionnants pourcentages d’arrêt. Il lui manque sans doute quelques points d’exclamation supplémentaires pour convaincre tout le monde de sa capacité d’exceller au printemps en tant que « gamer » ultime, mais qui sait, 2020 sera peut-être son été…
Pour le reste, vrai que l’équipe est plutôt jeune, mais mis à part Dale Weise (!), on peut difficilement dire que l’édition actuelle regorge de gars qui ont brillé en séries. Même le petit guerrier Gallagher n’a jamais rien cassé au printemps.
Certains entretiennent encore de l’espoir du côté de Drouin qui avait bien fait en pareilles circonstances avec le Lightning, ainsi qu’avec Halifax dans le junior. On notera cependant que dans les deux cas, il évoluait pour de puissantes formations comptant sur de nombreux éléments à surveiller pour l’adversaire. Sa performance de samedi n’avait rien de bien convaincant, notamment à cause des deux mauvaises punitions qu’il a écopées. Mais ce n’est qu’un match et Drouin aurait aussi bien pu fermer les livres en prolongation sur une feinte qu’il réussit pourtant assez souvent en tir de barrage. On peut s’attendre à voir un gars qui veut se racheter dès lundi soir.
Puis, il y a bien sûr Nick Suzuki qui a tout brûlé sur son passage lors des séries de la OHL l’an dernier. Si le CH est pour avoir un certain succès en séries dans les années à venir, ça va passer par le #14 qui semble coulé dans le bon moule. Sa performance impressionnante samedi soir – lui qui avec plus de 23 minutes de jeu a été de loin l’attaquant le plus utilisé du Tricolore – correspondait exactement aux attentes assez élevées qu’on entretient à son sujet en pareilles circonstances. Quel tir! Quelle anticipation en désavantage numérique! Il a tenu tête aux Crosby et Malkin de brillante façon. Un grand début en séries de la LNH pour l’espoir le plus important du CH.
2) Des doutes sur le leadership de Weber et Julien
Cet article a été écrit en très grande partie avant le match de samedi contre les Penguins, mais la victoire contre ces derniers ne change pas grand-chose aux doutes que j’entretiens par rapport au leadership de cette équipe depuis un certain temps.
Encore mardi dernier dans le match préparatoire contre les Leafs, un joueur du Tricolore s’est fait malmener sans que l’agresseur n’ait de compte à rendre à personne pour le reste de match. Jake Muzzin a blessé Alex Belzile et personne n’a même haussé les sourcils.
Je ne suis pas un apôtre de la violence au hockey, mais, à ce jour, la patinoire n’est pas encore l’équivalent la société civile. C’est encore un mini champ de bataille où les règles sont moins sévères que sur le trottoir devant votre maison.
Une bagarre ne vaut qu’un cinq minutes de punition. Une sévère mise en échec, rien, dans bien des cas. Un coup sournois? Très souvent un simple deux minutes au cachot, s’il est vu par l’arbitre…
Espérons que ce soit un pas dans la bonne direction car, en général, ces temps-ci, le CH ne peut même pas répliquer avec son avantage numérique comme ce fut le cas à une époque pas si lointaine. Elle doit alors répliquer (de façon honorable, s’entend) lorsqu’elle se fait agresser. C’est la santé, la fierté et la vigueur du groupe qui en dépend. L’inhibition de l’action est en général néfaste pour l’organisme ou, dans ce cas-ci, l’esprit d’équipe, qui devient du coup fragile, apathique, voire même sclérosé de l’intérieur.
Ne disait-on pas que par son aura et sa seule présence Shea Weber contribue à faire grandir tout le monde de deux pouces dans le vestiaire?
« Aura », « présence ». Voilà de beaux concepts vides qui servent à nourrir les clichés des analystes et, au mieux, à obtenir la clémence des arbitres à l’occasion, mais ont-ils une incidence réelle sur l’équipe? Comment cet « ascendant » de Weber sur les autres joueurs de l’équipe se traduit-il concrètement?
Depuis son arrivée on a trop souvent être ici dans le domaine de l’intangible invisible…
Weber, qui n’a jamais franchi la deuxième ronde au printemps, a une autre chance avec ces séries inespérées de nous montrer comment se traduit son leadership concrètement sur la glace. On a vu une équipe beaucoup plus soudée samedi et un Weber beaucoup plus alerte, incisif et truculent que lors du match contre Toronto. Ça n’a certes pas nuit. Hâte de voir le reste de la série.
Certains regarderont davantage du côté de Claude Julien lorsqu’il est question de leadership.
D’autres encore, dont plusieurs joueurs du CH, diront que le « leadership doit venir de tout le monde », une formule consensuelle, un peu fourre-tout, un peu « pays des Calinours », qui semble même carrément fumeuse dans une structure naturellement et traditionnellement aussi hiérarchique qu’un club de hockey.
Le leadership, l’affaire de tous au hockey? Foutaise!
Je vois plutôt là un phénomène de diffusion de la responsabilité qui crée plus souvent qu’autrement l’effet pervers que personne n’assume sa responsabilité.
Or, à Montréal, j’ai surtout surtout vu un dragon à deux têtes qui ne crache pas beaucoup de feu depuis quelques années.
Autant Weber que Julien me semblent à blâmer pour ce manque de feu, de hargne, cette mollesse, cette « beigitude », voire cette complaisance dans la médiocrité, que l’on a trop souvent remarqué chez le Canadien depuis les départs successifs de Subban et de Radulov qui, sans être capitaines, semblaient avoir le don de challenger leurs coéquipiers, que ça leur plaisait ou non.
Ceux qui ont vu The Last Dance auront certes remarqué que les grands leaders ne sont pas nécessairement toujours les plus gentils et appréciés de tout le monde… On aurait pu dire la même chose de Scotty Bowman à une autre époque…
On pensait que Weber allait faire beaucoup mieux que Pacioretty dans ce domaine. La différence est-elle vraiment palpable jusqu’ici sur la glace? Hmmm…
Bien sûr, les problèmes du CH sont profonds et multiples. Bien sûr, il faut d’abord regarder du côté de Timmins qui n’a pas su ajouter suffisamment de substance dans le pipeline au fil des ans. On en a longuement parlé ici.
Dans une moindre mesure, mais dans une mesure quand même, il faut aussi questionner certains choix de Bergevin dans la composition et la vision générale de son équipe. Bergevin a réalisé plusieurs bons coups, mais on compte encore sur trop d’éléments semblables et on déplore l’absence d’ingrédients très importants, dont un certain défenseur gaucher et des gabarits plus imposants à l’attaque…
Beaucoup de sucre dans la gâteau, mais peu de beurre et de farine…
Qu’à cela ne tienne, il demeure que sur papier le CH semble avoir meilleure allure que ce qu’il présente sur la glace et c’est ici que le leadership du coach et du capitaine doit faire une différence.
D’un côté, Weber semble jusqu’ici trop souvent incapable d’inspirer et de challenger ses coéquipiers sur la patinoire, de les amener à se défoncer pour l’équipe.
Julien joue peut-être plus gros que l’on pense lors des présentes séries… Nécessité oblige, la composition de ses trios et de ses paires de défense est quelque peu audacieuse (quoique on aimerait bien voir Evans), il semble aussi vouloir changer son approche avec KK et mise beaucoup sur Suzuki. C’est une occasion en or de le faire, et une chance pour lui de se réinventer un peu. À suivre ça aussi…
Cela dit, et pour clore sur le leadership, Bergevin a peut-être mis la main sur le futur grand leader de son équipe en la personne de Nick Suzuki.
Un genre de meneur à la Sakic? Ça reste à voir, mais c’est bien parti pour le jeune.
3) Le mythe du « pauvre-petit-Québécois-qui-joue-à-Mourial »
Ainsi donc, selon certaines rumeurs, des personnes dans l’entourage d’Alexis Lafrenière souhaiteraient qu’il ne soit pas repêché par le Canadien.
C’est trop dur pour un jeune Québécois de jouer à Montréal. Trop de pression, les fans sont imbéciles, les journalistes et les dizaines de commentateurs sont pas fins, l’organisation et le coachs étouffent les joueurs québécois, etc.
Les mythes ont la couenne dure.
Mais, à mon sens, tout ça n’est que discours creux, perceptions, ramassis de préjugés qui s’appuient sur des cas isolés, plus ou moins récents, pas toujours pertinents, interprétés tout croche, et j’oserais dire, une mentalité collective, québécoise assez particulière, voire inquiétante, à en lire de nombreux commentaires récemment recensés suite à cet article qui a soulevé les passions.
Sommes-nous à ce point « un peuple de peureux pis de jaloux », comme dirait Elvis Gratton?
On croirait nager en plein délire!
Peu importe, Lafrenière n’est pas Alexandre Daigle, qui, en passant, n’a pas joué pour le CH.
Il n’est pas qu’un bon choix de deuxième ronde comme Guillaume Latendresse, qui avait de belles qualités, avait soulevé certains espoirs, mais qui n’était pas un grand patineur. Et on ne parle même pas des blessures qui ont miné sa carrière.
Son cas n’a aussi rien à voir avec celui de Louis Leblanc, qui en temps normal n’aurait même pas été repêché par le Tricolore. C’est Timmins lui-même qui le dit.
Pour « preuve », certains disent que Drouin l’a difficile avec le Canadien, que les partisans sont durs envers lui, que les coachs l’ont placé dans des rôles inconfortables, la pression médiatique, etc.
Or, sauf pour quelques têtes brûlées, je n’ai pas souvent vu ou lu des choses vraiment méchantes dites sur Drouin. On questionne l’échange pour Sergachev. On se demande s’il finira par éclore. On trouve qu’il est souvent blessé. On analyse son manque de constance. On critique certains choix de jeu, mais on admire tous son talent et on se réjouit pour lui dans ses bonnes séquences. Peu d’attaques personnelles dans le lot.
Au contraire, je trouve en général que les partisans ont gagné en patience au fil des ans envers les joueurs du Canadien. On se garde une petite gêne. On suspend un peu plus notre jugement, on met davantage les choses en perspective.
Pour ce qui est des journalistes et commentateurs, plusieurs mangent carrément dans la main de l’organisation et la plupart, pour ne pas dire tous, sont très, très « gentils » avec Drouin.
Pour ce qui est du travail des coachs et de la direction avec lui, par la force des choses, on a essayé d’en faire un joueur de centre à sa première année, puis on l’a remis à sa position naturelle dès qu’on a pu se le permettre. Du reste, il a toujours joué en avantage numérique et bénéficié d’un temps de glace tout à fait correct.
Les coachs et la direction ont été et sont encore très patients à son endroit.
D’autres vont dire que Sylvain Lefebvre a brûlé Louis Leblanc à Hamilton. Il n’a peut-être pas été génial Lefebvre, mais l’essentiel c’est que Leblanc a subi une vilaine blessure à une cheville et il ne s’en soit jamais vraiment remis, lui qui était déjà un patineur moyen et un joueur offensif au talent limité.
L’erreur dans le cas de Leblanc c’est surtout de l’avoir repêché. Il n’a pas plus réussi à Anaheim.
Bref, à mes yeux, ce qu’il faut rappeler et répéter pour contrer ce mythe, c’est que depuis la salve de Bob Gainey à l’endroit d’un certain groupe de partisans qui s’en prenaient systématiquement à Patrice Brisebois au début des années 2000, aucun Québécois ne l’a vraiment eu plus dur à Montréal du simple fait qu’il soit Québécois.
La pression sur les épaules de Carey Price est autrement plus grande que sur celles de Drouin. Ce n’est même pas comparable.
Un joueur de la trempe de Lafrenière, un jeune homme travaillant et sérieux, possédant une mentalité de gagnant, jumelé à un style de jeu à la fois agressif, efficace et spectaculaire, serait adulé par tout le monde à Montréal. Aucune inquiétude là-dessus. Montréal est un marché chaud, un marché passionné, mais pas un marché plus stupide et débile qu’un autre du même genre.
Est-ce que Tavares et Marner ont du mal à performer à Toronto?
Si le joueur travaille et performe à la hauteur de son talent, il sera traité comme un roi, peu importe sa nationalité ou son salaire.
Est-ce que les joueurs québécois ont plus de pression que les autres? Pression médiatique, peut-être. Plus de micros, de shows de télé, plus de sollicitations, oui. Ça vient avec le territoire.
Mais tant qu’il n’y a pas d’attaques personnelles soutenues, répétées et généralisées, est-ce la fin du monde que d’évoluer dans un marché passionné?
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. C’est pourquoi rien ne devrait être plus grisant pour un hockeyeur que de jouer pour le Canadien de Montréal.
Et comme le disait le coach André Tourigny au sujet de Lafrenière : « La pression, lui, il met ça dans ses pneus. »
Dernière pensée
Enfin, pour revenir aux séries, si jamais le Canadien en venait à se priver de la chance de repêcher le meilleur espoir québécois de sa génération en battant les Penguins – ce qui le privera aussi de repêcher 9e – j’espère que ça continuera d’être en bonne partie à cause de la performance des jeunes comme Suzuki et Kotkaniemi et non grâce à des buts de Weise et de Weal!
Ça serait plus réconfortant pour la suite des choses!